«Comprendre pour utiliser les phénomènes qui défient nos sens »

Peux-tu nous expliquer en quoi la technologie que tu as développée est innovante ?

Les lecteurs biométriques classiques utilisés dans les aéroports, les sites sécurisés des entreprises, analysent la surface de la peau. Mais aujourd’hui, avec cette technique, il est difficile de reconnaître une véritable empreinte d’un leurre.
Le lecteur d’empreintes BioDigital, constitue une évolution majeure des capteurs biométriques parce qu’il permet d’accéder à l’empreinte digitale sous-cutanée (située à 1mm sous la peau) ainsi qu’à son réseau de pores de sudation. Ces différentes structures biologiques étant difficiles à reproduire, cela permet de détecter toutes les fraudes d’identité biométriques connues à ce jour.
Cette technologie d’imagerie en volume, que nous développons, s’appelle la tomographie optique (OCT, Optical Coherence Tomographie). Ses champs d’application sont variés. Par exemple, en parallèle des travaux sur la reconnaissance des empreintes, nous étudions la possibilité de détecter des maladies à partir de l’analyse morphologique des cellules contenues dans une goutte de sang. En ce moment, nos efforts sont centrés vers la leucémie. Nous cherchons par exemple, de montrer qu’il est possible détecter cette pathologie bien en amont des techniques habituelles. Cela permettrait un traitement plus adapté et plus efficace de la maladie.
En 2016, un brevet a été déposé sur cette technologie ; les recherches se poursuivent en parallèle.

Comment définis tu tes sujets de recherche et quelle est ta méthode pour avancer ?
En recherche, il me semble toujours excitant de chercher à mieux appréhender les lois qui gouvernent le comportement d’objets, en définissant le plus précisément possible la représentation que l’on peut s’en faire. Comment définir un leurre biométrique basé sur ses caractéristiques optiques est un champ d’investigation parmi d’autres ; un champ qui mérite d’être poursuivi.
En terme de méthode, on commence à partir de l’informe. On sonde un objet que l’on juge à priori intéressant car son comportement pose question ou parce que on ne sait pas définir ce qui le caractérise. Les données recueillies sont analysées à travers la construction ou l’agrégation de différents modèles (reposant sur des hypothèses variées mais choisies). Pour avancer, au cours de cette étape d’analyse, il s’avère nécessaire d’affiner à l’extrême les techniques de mesures développées. Cela permet dans bon nombre de situations d’obtenir une cohérence globale entre mesure et modèle et donc d’obtenir une certaine compréhension de l’objet, cette dernière pouvant s’avérer à postériori plus ou moins intéressante. Néanmoins, outre le résultat relatif au questionnement initial, les techniques instrumentales développées serviront dans une majorité des cas ailleurs, notamment pour de nouvelles applications que nous développons également. C’est le principe de ma démarche dans ses grandes lignes… dans la réalité, c’est très long il y a toujours beaucoup de galères !
Qu’est-ce qui a fait que tu t’es investi dans ce domaine ?
Je ne vois pas très bien les couleurs et de fait, je suis constamment obligé de développer des stratégies de contournement. Se passer de nos sens, notamment grâce à l’introduction de méthodes de mesures, permet d’accéder à une organisation souterraine de la nature que je trouve passionnante.
Mon rêve serait de découvrir quelque chose qui me surprenne, quelque chose à quoi je ne m’attends et qui défie le bon sens (perceptif). Le temps d’errance est important pour cela… or ce n’est plus dans l’air du temps d’avoir du temps pour errer ! Pourtant, ce n’est pas en sachant directement où je vais aller que je sais être créatif. Dans mon cas, les idées ne viennent pas des applications. Mais les applications sont importantes car elles permettent de convertir de façon utile une démarche et un investissement antérieur.
*Yaneck Gottesman, ancien élève de l’Ecole Centrale de Marseille, titulaire d’un DEA d’optique, a soutenu en 2001 une thèse sur la réflectométrie optique pour l’analyse des composants. Il est aujourd’hui enseignant chercheur et maître de conférences en optique à Télécom SudParis, qu’il a rejointe en 2002. Il se spécialise, au sein du département Electronique et Physique (EPH), dans la mesure de précision et la physique des composants optoélectroniques.
**Le centre d’intégration Nano-INNOV constitue un projet fédératif de recherche et d’innovation autour des nanotechnologies, à Paris-Saclay et dans l’ensemble du sud francilien. Rassemblant entreprises et chercheurs, il a pour ambition d’être un haut lieu de la recherche et de l’innovation réunissant dans une démarche interdisciplinaire les plus grands talents pour concevoir et développer les technologies du futur et anticiper leurs applications potentielles. Quinze chercheurs de Télécom SudParis y travaillent actuellement dans les domaines de l’optique, de l’optoélectronique, des réseaux mobiles, des smart-grids, de la reconnaissance des formes et des applications santé en biométrie.