La lumière, un outil pour la santé et l’environnement
Publié le 25 novembre 2025
Comment la lumière peut-elle révolutionner la médecine et l’environnement ? Guillaume Graciani, enseignant-chercheur à Télécom SudParis, conçoit des instruments innovants qui utilisent la lumière pour mesurer l’efficacité des médicaments ou détecter les polluants dans l’eau. Entre physique, ingénierie et IA, ses recherches ouvrent aussi des passerelles surprenantes avec l’art et la médiation scientifique.
Sciences Num. est un podcast produit par Télécom SudParis et soutenu par le Carnot Télécom et Société numérique.
Annick Dechenet :
Bienvenue sur Sciences Num., le podcast de Télécom Sud Paris, grande école publique d'ingénieurs du numérique et qui fait partie de l'Institut Polytechnique de Paris. Je suis Annick Dechenet. Dans ce podcast, je reçois des chercheurs pour qu'ils nous éclairent sur leurs travaux de recherche et qu'ils nous aident à comprendre leurs activités. Aujourd'hui, je reçois Guillaume Graciani, expert en instrumentation optique. Bonjour Guillaume.
Guillaume Graciani :
Bonjour.
Annick Dechenet : Comme avec chaque invité... On démarre ce podcast Science Num. avec un petit CV express.
Guillaume Graciani :
J'ai un début de parcours plutôt classique avec une classe prépa, puis une école d'ingénieur. J'ai fait l'école supoptique ou l'institut d'optique, sachant qu'à la base, je voulais vraiment absolument faire cette école parce que j'étais vraiment fasciné par la lumière, tant par le côté physique que par son côté un peu artistique. Et ensuite, ma particularité, c'est que j'ai d'abord un peu travaillé en sortie d'école en tant qu'ingénieur et je me suis vite rendu compte que j'étais vraiment passionné d'enseignement et en fait, ça m'a poussé à faire une... thèse presque cinq ans plus tard pour devenir professeur.
Annick Dechenet : Si vous deviez expliquer vos travaux simplement, vous diriez quoi ?
Guillaume Graciani :
Vraiment en deux mots, on va dire que j'invente des instruments et des méthodes de mesure qui utilisent en fait la lumière. C'est pour des applications de mesure environnementales et surtout en biologie. Donc il y a vraiment un aspect un peu physique fondamental, optique théorique et aussi un gros aspect ingénieur expérimental en fait qui fabrique vraiment des instruments.
Annick Dechenet : Vous avez cité la biologie comme domaine d'application. Est-ce que vous pouvez donner un exemple ?
Guillaume Graciani :
Oui, il se trouve que j'ai fait quasiment toute ma carrière dans des labos de biologie. Dernièrement, j'étais dans un institut sud-coréen à Seoul National University. Et en fait, eux, ils cherchent à mettre au point des nouveaux médicaments à base d'anticorps. Typiquement, un exemple d'instrument que j'ai pu développer, ça consiste à mesurer avec quelle efficacité Ces anticorps arrivent à se lier à certaines protéines qu'on cherche à cibler pour un traitement. Souvent, ce sont des protéines qui provoquent des symptômes graves, c'est souvent lié à des maladies neurodégénératives. Pour schématiser simplement, imaginez qu'on a une cuve qui est remplie de protéines. On injecte notre médicament et ensuite on essaie de mesurer la proportion de protéines qui ont été ciblées par le médicament. Et cette proportion, ça nous donne des infos sur l'efficacité du médicament, tout simplement.
Annick Dechenet : Merci, c'est très clair. Maintenant, pouvez-vous nous donner un exemple dans le domaine de l'environnement ?
Guillaume Graciani :
C'est une bonne occasion parce que j'ai été lauréat récemment d'un super concours de prématuration organisé par l'Institut Polytechnique de Paris. Ce concours vise à réaliser des transferts technologiques entre les labos et l'industrie. Dans le cadre de ce projet, ça concernait un instrument que j'ai réalisé qui permet de mesurer la qualité de l'eau. Par exemple, présence de bactéries, de... polluants chimiques ou même de microplastiques. Et là, je suis en train de mettre au point des collaborations avec des entreprises clés du domaine pour la réalisation pratique de cet instrument.
Annick Dechenet : Et quand vous démarrez un projet, vous partez de vos idées ou bien vous répondez aux besoins des industriels ?
Guillaume Graciani :
C'est vraiment en pratique un peu les deux. Il m'arrive des fois de partir vraiment d'un phénomène fondamental de physique ou d'optique et en fait de l'étudier de manière un peu désintéressée. Ensuite, de me rendre compte qu'il permettrait de faire une mesure d'un aspect particulier de la matière. Ensuite, dans un deuxième temps, de chercher des applications pour démontrer les possibilités de mesure. Mais aussi à l'inverse, on a l'autre cas de figure. Ça nous arrive d'avoir des discussions avec par exemple des industriels qui viennent nous voir avec un problème très précis à résoudre. Ça m'est arrivé récemment au domaine de la microbiologie. On discute avec un industriel français qui s'appelle Biomérieux pour, par exemple, réaliser des nouvelles méthodes de microscopie.
Annick Dechenet : Pour ça, vous travaillez en équipe et la spécificité dans vos travaux de recherche, c'est que ce sont des équipes multidisciplinaires. Expliquez-nous.
Guillaume Graciani :
Par exemple, dans notre groupe, on a des théoriciens qui font de la physique fondamentale. On a des personnes plutôt axées physique. expérimentales, qui mettent les mains dans le cambouis, qui fabriquent des instruments. Ensuite, on a des gens qui font, disons, de la programmation, du traitement des données. Et on a même des experts en IA, ou en apprentissage machine. Et ensuite, selon l'application, on peut avoir différents experts. Donc, pour reprendre l'exemple de la biologie, il faut des experts pour préparer des échantillons, des lames de microscope. Et typiquement, si on leur fournit des images avec nos instruments, il va falloir... avoir des médecins qui viennent analyser les images, donner leur interprétation, etc. Donc c'est vraiment très multidisciplinaire.
Annick Dechenet : Je rebondis sur l'intelligence artificielle. Qu'est-ce qu'elle apporte dans la fabrication d'instruments ?
Guillaume Graciani :
On l'utilise de plus en plus et c'est sur des points vraiment très ciblés de notre travail, je dirais. On peut prendre l'exemple concret de la fabrication d'un microscope, ce sera plus clair. Je peux citer deux ou trois aspects. Déjà, l'IA, ça nous permet de faire des calculs, par exemple de reconstruction d'images, ou pour améliorer la qualité d'image, des calculs qui sont très rapides. Et ensuite, une fois qu'on a ces images, on peut venir les analyser par l'IA. Prenez par exemple un échantillon qui contient différents types de bactéries, la machine saura les différencier, lire l'information de l'image. Et il y a un autre aspect qui apparaît depuis très peu de temps, c'est utiliser l'apprentissage machine pour nous aider à fabriquer nos instruments. Plutôt pour vulgariser, on va dire comment effectuer certains réglages fins de nos instruments. Imaginez par exemple un microscope, toujours, quel type de lumière on utilise, quel type de caméra, etc. Pour faire en sorte d'extraire un maximum d'informations de nos mesures, de la manière la plus efficace possible. En fait, ça nous aide à... optimiser nos mesures pour avoir de belles images dans le cas de la microscopie.
Annick Dechenet : Vous avez une approche très pointue qui, j'imagine, intéresse de nombreuses entreprises.
Guillaume Graciani :
Oui, tout à fait. Je travaille souvent avec elles. Il se trouve que moi, j'ai une affinité pour la biologie. J'ai fait ma carrière dans des laboratoires de bio. J'ai travaillé à l'Institut Curie, l'Institut Pasteur en Corée ou d'autres instituts coréens. Mais avec les entreprises, j'aime particulièrement travailler avec des start-up. J'ai été consultant pour des start-up, notamment en biotechnologie, par exemple pour la fabrication d'instruments en lien avec la mise au point de médicaments que j'avais mentionné tout à l'heure. Et c'est vrai que j'aime vraiment ça parce que c'est du travail vraiment appliqué, qui est tout le temps la pointe de la technologie, et il y a toujours une part de risque en fait dans ces start-up, donc c'est très excitant à faire.
Annick Dechenet : Et quelle est l'originalité de vos travaux de recherche ?
Guillaume Graciani :
C'est vraiment cette approche multidisciplinaire, donc à la fois La physique fondamentale qui est appliquée avec une partie d'intelligence artificielle, ce qui fait qu'on est vraiment à l'état de l'art. En fait, on fabrique des instruments qui sont vraiment complètement nouveaux avec des performances qui sont au top dans notre domaine.
Annick Dechenet : Est-ce que depuis le début de votre carrière, il vous est arrivé d'être surpris par certains de vos résultats, par exemple ?
Guillaume Graciani :
Tout à fait, ça arrive assez souvent même. Je peux prendre l'exemple probablement pendant ma thèse. Ma thèse a débuté, mon sujet de recherche était de rendre une méthode de mesure conventionnelle un peu plus sensible. Et en fait, ce faisant, on a mis en évidence un nouveau phénomène physique, presque un nouvel état de la lumière, qui était beaucoup plus général qu'on pouvait l'imaginer, avec des applications et des implications en mécanique quantique, en physique fondamentale. Finalement, on s'est retrouvé à écrire des articles théoriques pour essayer de décrire ce phénomène. Et on s'est retrouvé à construire un tout nouvel instrument de mesure qui était inédit et qui pouvait mesurer beaucoup plus de choses que ce qu'on avait imaginé à la base.
Annick Dechenet : Si demain vous obtenez des budgets supplémentaires, qu'est-ce que vous faites ?
Guillaume Graciani :
C'est toujours le bienvenu des fonds de recherche. Là, il y a particulièrement une branche qui est vraiment prometteuse pour développer des nouvelles méthodes de mesure, c'est la mécanique quantique. C'est-à-dire utiliser par exemple des sources lumineuses quantiques, des détecteurs, des caméras quantiques, qui nous permettent d'accéder à des types de mesures ou des phénomènes qui jusqu'à maintenant étaient inaccessibles. Et jusqu'à maintenant, le coût de ce genre de technologie, c'était vraiment très difficile d'accès. Mais les choses sont en train de bouger petit à petit, et maintenant de plus en plus ces technologies rentrent dans nos laboratoires et on commence à y avoir accès. Et ça, la mécanique quantique, c'est aussi une volonté de Télécom Sud. de Paris, de l'intégrer dans sa recherche et aussi dans sa formation. Donc ça, c'est une chose dont j'aimerais vraiment être le moteur dans un futur proche.
Annick Dechenet : Au début du podcast, vous avez parlé de votre intérêt pour des projets artistiques. Vous confirmez ?
Guillaume Graciani :
Oui, tout à fait. Ça rejoint un peu mes motivations initiales quand je disais que je trouvais que la lumière, il y avait quelque chose de poétique ou d'artistique. Donc j'ai été approché à plusieurs reprises par des artistes pour les aider dans leur démarche. Souvent des artistes qui ont une vision claire de ce qu'ils veulent réaliser, donc ils ont une œuvre d'art en tête, mais qui demandent un petit coup de pouce pratique, donc quasiment de l'ingénierie, pour concevoir des éléments optiques à intégrer dans leurs œuvres. Par exemple, il y avait l'artiste Véronique Joumar qui a refait les vitraux d'une cathédrale à Bayeux d'une manière moderne et qui souhaitait intégrer des prismes dans ses vitraux pour réaliser des motifs colorés dans la cathédrale des Arc-en-Ciel. Je l'ai aidé à concevoir ces prismes. En fonction de la position du soleil, de l'agencement de la cathédrale, j'ai calculé les angles, le matériau, la forme des prismes, etc. Un autre projet avec un artiste qui s'appelle Elliot Wood, un artiste anglais que j'ai rencontré en Corée du Sud. Lui, c'était une installation artistique pour projeter de la lumière dans le ciel de la ville de Séoul, pour créer une lune artificielle. Ce qui est vraiment amusant, c'est que j'ai littéralement utilisé des méthodes de microscopie pour faire cette projection énorme dans le ciel. L'optique, c'est quelque chose qui peut s'appliquer dans tous les domaines.
Annick Dechenet : Et vous avez une autre passion, c'est la médiation scientifique.
Guillaume Graciani :
Oui, c'est vraiment quelque chose qui me passionne. Ça rejoint un peu le fait d'aimer l'enseignement et transmettre mes connaissances. C'est aussi pourquoi j'ai accepté ce podcast. J'ai récemment été lauréat d'un concours de médiation scientifique qui est organisé par le journal Nature. et qui consistait en fait à réaliser une vidéo d'une seule minute pour expliquer mes travaux de recherche. Donc là, je me suis retrouvé à écrire un script, je me suis filmé, j'ai monté la vidéo, j'ai composé la musique. Donc c'était vraiment une super expérience. Et ce qui est top, c'est qu'il y a une suite à ça, c'est que là, je vais écrire un livre de vulgarisation en préparation avec cet éditeur, Springer Nature, à la suite de ce concours.
Annick Dechenet : Merci Guillaume Graciani d'avoir accepté de partager vos recherches avec nous. et surtout de nous avoir permis de mieux comprendre ce que vous faites.
Guillaume Graciani :
Avec plaisir, merci beaucoup.
Annick Dechenet :
Je vous rappelle que Science Num. est un podcast soutenu par le Carnot Télécom et Société Numérique. Si vous êtes intéressé par la recherche dans le domaine du numérique, je vous invite à retrouver les épisodes précédents sur vos plateformes d'écoute préférées. A bientôt !