Comment orchestrer l’intelligence des données dans les systèmes distribués ?

Dans un univers où villes intelligentes, objets connectés et cloud collaborent en temps réel, comment garantir la cybersécurité et la fiabilité des données ? Mohamed Sellami, maître de conférences à Télécom SudParis et chercheur au laboratoire Samovar, développe des méthodes innovantes mêlant IA et analyses avancées pour détecter les anomalies, optimiser l’orchestration des ressources et automatiser l’évaluation des risques.

Sciences Num. est un podcast produit par Télécom SudParis et soutenu par le Carnot Télécom et Société numérique.

 

 

Annick Dechenet :

Bienvenue sur Sciences Num., le podcast de Télécom Sud Paris, grande école publique d'ingénieurs du numérique et qui fait partie de l'Institut Polytechnique de Paris. Je suis Annick Dechenet. Dans ce podcast, je reçois des chercheurs pour qu'ils nous racontent leurs travaux et surtout pour nous aider à mieux comprendre ce qu'est la recherche dans le numérique aujourd'hui. Mon invité est Mohamed Sellami. Bonjour, bienvenue.

Mohamed Sellami :

Bonjour Annick, merci pour cette invitation.

 

Annick Dechenet : Mohamed, vous connaissez ce podcast. Petit CV express pour commencer ?

Mohamed Sellami :

Je suis maître de conférence en informatique à Télécom Sud Paris et je fais partie du laboratoire Samovar. Samovar, c'est le laboratoire de recherche spécialisé dans l'étude de l'information au sens large.

 

Annick Dechenet : Votre spécialité, c'est l'intelligence des données dans les systèmes distribués. Alors, ça consiste en quoi exactement ?

Mohamed Sellami :

L'idée de mes travaux, c'est de combiner des techniques avancées de gestion et d'analyse de données. des données qui peuvent être brutes, non structurées, ainsi de suite, avec des outils comme l'intelligence artificielle et l'apprentissage automatique. Mon objectif principal, c'est de pouvoir extraire des connaissances utiles à partir de données et d'aider à prendre des meilleures décisions. Notamment, je considère des environnements complexes comme le cloud ou bien l'Edge.

 

Annick Dechenet : Des mots qui sont rentrés dans notre quotidien, mais qui restent quand même un peu techniques. Est-ce que vous pourriez donner un exemple de système distribué afin qu'on comprenne bien de quoi il s'agit ?

Mohamed Sellami :

Bien sûr, Annick. Un bon exemple de système distribué, c'est ce qu'on trouve dans une ville intelligente, par exemple, une Smart City. Si je prends un sous-ensemble de la Smart City, donc le système qui permet de gérer des feux de circulation. Donc, dans un tel système, nous allons trouver des capteurs IoT, ce qu'on appelle objets connectés, qui seront placés sur les routes. pour détecter en temps réel des embouteillages, de trafic ou même le passage de piétons. Donc ces données sont ensuite traitées à proximité des capteurs grâce à ce qu'on appelle des dispositifs Edge. Donc pour faire simple, le Edge Computing ou l'informatique à la périphérie, c'est comme installer des petits centres de calcul au plus près de là où les données sont produites. Ça nous permet de réagir très rapidement à la réception des données sans devoir attendre une réponse qui vient d'un serveur lointain.

 

Annick Dechenet : Ok.

Mohamed Sellami :

En parallèle, une partie des données pourra toujours être envoyée vers le cloud, donc vers le fameux serveur distinct, pour faire des analyses plus poussées, par exemple optimiser le réseau de transport sur une semaine. Donc ce type d'architecture qui s'appuie sur ce qu'on appelle un continuum cloud-edge IoT, c'est-à-dire une collaboration fluide entre objets connectés, traitements edge et ressources dans le cloud, et typique des systèmes distribués que je considère dans mes travaux.

 

Annick Dechenet : Dans ce continuum Cloud Edge IoT, sur quoi portent vos travaux plus précisément ?

Mohamed Sellami :

Je mène mes recherches à travers deux projets collaboratifs de grande envergure. Ce sont des projets soutenus sur 7 ans par l'ANR, l'Agence Nationale de Recherche. Ces projets sont réalisés en partenariat avec une vingtaine d'équipes de recherche dans toute la France. Le premier projet que je considère est... porte sur la surveillance intelligente des infrastructures et des applications dans le continuum. Le second projet, qui est étroitement lié au premier, vise à automatiser ce que j'appelle l'orchestration des ressources dans le continuum.

 

Annick Dechenet : Alors si on l'applique à votre exemple de ville intelligente, Smart City, ça donne quoi ?

Mohamed Sellami :

Donc dans le premier projet, nous nous intéressons à la surveillance de toutes les ressources informatiques impliquées dans la gestion des feux de circulation. dans les trois couches du continuum, et ceci afin de détecter des anomalies, comme par exemple une latence excessive. Ce qu'on peut faire aussi, c'est de la surveillance proactive, c'est-à-dire détecter des anomalies avant qu'elles ne se produisent. Dans le second projet, je me concentre sur l'optimisation de la répartition des ressources dans le continuum, donc la fameuse orchestration, en visant le respect de certaines contraintes. comme par exemple réduire la consommation énergétique ou bien le coût total.

 

Annick Dechenet : Des travaux qui intéressent des industriels en plus.

Mohamed Sellami :

Oui, bien sûr. Le transfert technologique occupe une place importante ou centrale dans mes travaux de recherche. Par exemple, en juillet 2024, en partenariat avec la société Board of Cyber, qui est spécialisée en cybersécurité, nous avons répondu à un appel à projet qui s'appelle Développement de technologies innovantes critiques. Donc notre construction. Avec Bordeaux Cyber a été retenu, nous avons obtenu un financement de 3,2 millions d'euros au titre du plan France 2030.

 

Annick Dechenet : Et quelle est l'idée principale de ce projet ?

Mohamed Sellami :

Ce projet part d'un constat majeur, c'est que de nombreuses grandes entreprises rencontrent des difficultés pour évaluer la maturité et la cybersécurité de leurs fournisseurs. Donc, analyser manuellement des centaines, voire des milliers de fournisseurs se révèle extrêmement chronophage et difficile à faire manuellement. Il est donc essentiel de concevoir des solutions techniques qui soient à la fois fiables et automatisées. Donc en collaboration avec Board of Cyber, nous nous concentrons sur deux problématiques stratégiques pour leurs clients. L'amélioration des systèmes d'évaluation de la surface d'attaque des entreprises. Et la deuxième problématique, c'est l'intégration de modèles de langage naturel afin d'évaluer automatiquement la performance cybersécurité des organisations. En fait, l'évaluation c'est quelque chose de primordial, car si on n'a pas une évaluation précise, Il sera très difficile, voire impossible, d'améliorer la posture sécurité ou cybersécurité des systèmes numériques de ces entreprises.

 

Annick Dechenet : Vous mettez en avant un problème de ressources humaines en cybersécurité. Est-ce que vous êtes impacté et est-ce que vous avez assez de profils compétents pour mener vos travaux ?

Mohamed Sellami :

Oui, j'ai de la chance grâce au projet dont je vous ai parlé. J'ai pu assurer les fonds nécessaires pour mener à bien mes recherches. Donc les fonds qui vont servir à recruter... des doctorants, des post-doctorants, des ingénieurs de recherche. Par exemple, avec le projet monné avec Board of Cyber, nous avons pu ajouter deux nouvelles thèses innovantes dans le portefeuille de Télécom Sud Paris. La première explore l'intégration des modèles de langage dans le développement d'un mécanisme de notation en cybersécurité. Et la seconde vise la création d'un système de mesures et de recommandations adaptatives pour les questionnaires de sécurité. En fait, les questionnaires de sécurité sont l'une des briques essentielles pour cette évaluation.

 

Annick Dechenet : Mohamed Sellami, quelle est la singularité de vos travaux ?

Mohamed Sellami :

L'originalité de mes travaux réside dans l'exploitation du continuum Cloud Edge IoT, un concept qui vise à intégrer de manière fluide trois niveaux technologiques souvent traités séparément. Donc chacun de ces niveaux a ses spécificités. que ce soit en termes de capacité technique ou de contraintes de fonctionnement. Traditionnellement, les recherches, y compris une partie de mes recherches passées, se concentrent uniquement sur une seule couche, du continuum ou parfois deux couches. Donc ce qui est visé aujourd'hui, c'est une approche globale qui considère simultanément les trois couches comme un système unifié. Donc avec une telle approche, nous pourrons aborder des défis complexes, car ces couches sont très hétérogènes, avec aussi des contraintes différentes. On parle par exemple de contraintes énergétiques côté Internet des objets, de réactivité côté aide sur périphérie, et d'élasticité ou de puissance de calcul côté cloud.

 

Annick Dechenet : Et la difficulté majeure que vous rencontrez aujourd'hui dans vos travaux, c'est quoi ?

Mohamed Sellami :

C'est de trouver les financements des projets nécessaires pour recruter les gens. Et d'autre part, la difficulté que j'ai, c'est de trouver des cas d'usage réels pour tester concrètement. mes résultats. Par exemple, dans le cadre de ma collaboration récente avec Board of Cyber, je peux justement confronter et évaluer mes résultats de recherche avec des problématiques réelles de cybersécurité et cela fait toute la différence en fait pour valider et pour évaluer.

 

Annick Dechenet : Finalement, qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

Mohamed Sellami :

Je dirais cette double casquette que j'ai la chance d'avoir. Donc d'un côté, il y a l'enseignement, J'adore être en contact avec les étudiants, les voir progresser, répondre à leurs questions. C'est très enrichissant humainement. Et de l'autre côté, il y a la recherche qui va me pousser à sortir de ma zone de confort, à résoudre des problèmes concrets qui sont souvent en lien avec des entreprises ou des enjeux de société.

 

Annick Dechenet :

Merci Mohamed Sellami d'avoir accepté de partager vos recherches avec nous et surtout de nous avoir permis de mieux comprendre ce qu'est la recherche dans le domaine du numérique. aujourd'hui. Je vous rappelle que Sciences Num. est un podcast soutenu par le Carnot Télécom et Société Numérique. Si vous êtes intéressé par la recherche dans le domaine du numérique, je vous invite à retrouver les épisodes précédents sur vos plateformes d'écoute préférées. A bientôt !

© Télécom SudParis – Siret : 180 092 025 00055 – APE : 8542Z