Comment les normes sont une force pour l’innovation des entreprises ?

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Le "Moving Picture Experts Group", bien connu sous le sigle MPEG, est un consortium d'experts dédié au développement de normes internationales pour la compression et le traitement des contenus multimédias, incluant audio, vidéo et graphiques 3D de façon à satisfaire une large gamme d’applications. Par son positionnement à la fois prospectif, technologique et économique, MPEG offre un espace international de travail permettant d'introduire les résultats de la recherche dans les normes afin de promouvoir l'innovation. Au sein de MPEG, Marius Preda a été reconduit dans sa position de Convenor du Working Group 7 (WG 7), MPEG Coding of 3D Graphics & Haptics, pour un nouveau mandat de trois ans à compter du 1ᵉʳ janvier 2024.

Le WG 7 est chargé de l'élaboration de normes pour le codage de représentations de données n-dimensionnelles, qu'elles soient générées par ordinateur ou capturées du monde réel via diverses techniques.

Cela inclut des objets et environnements graphiques en 3D, et s'étend à l'intégration de contenus synthétiques et réels, facilitant des expériences utilisateurs interactives, dynamiques et potentiellement immersives…

La coordination au niveau mondial des instances de normalisation

Marius Preda, en tant que Convenor du Working Group 7 (WP 7), joue un rôle essentiel au sein de l'ISO/CEI (Organisation Internationale de Normalisation / Commission Électrotechnique Internationale), avec des missions centrées sur :

  • L'analyse des besoins actuels et des tendances technologiques dans le domaine de la 3D, tout en menant des recherches prospectives pour intégrer proactivement les innovations émergentes dans les travaux du groupe.
  • La recommandation de l'initiation de travaux sur un ensemble de normes alignées sur les activités du groupe pour garantir leur compatibilité et pertinence.
  • La participation active à la conception d'algorithmes de codage efficaces et novateurs pour différentes représentations graphiques en 3D et les métadonnées associées.
  • La définition de critères précis pour évaluer les performances et la complexité des solutions développées, assurant leur efficacité et applicabilité.
  • L'organisation et la supervision de tests d'évaluation rigoureux visant à mesurer la qualité, les performances et la complexité des algorithmes de codage des données graphiques en 3D.
  • L'assurance de la disponibilité des implémentations de code source pour les normes proposées, facilitant leur adoption et évaluation.
  • L'établissement et le maintien de coopérations avec d'autres entités de normalisation opérant dans des domaines similaires, incluant la sollicitation et l'intégration de contributions externes et la gestion des relations de liaison.

En résumé, la fonction de Convenor occupée par Marius Preda est déterminante pour l'avenir des technologies normatives, veillant à ce que les développements en cours respectent les standards et procédures de l'ISO/CEI, tout en suivant les échéances prévues.

« À cet effet, quatre réunions (meeting) internationales ont lieu chaque année, regroupant les représentants des États-Unis, du Japon, de la Chine, de la Corée, des pays de l’Europe, de la Suisse... Les participants sont à 90% des acteurs économiques issus des grandes entreprises, de PME innovantes ou de start-up. À leurs côtés, les chercheurs académiques des pays membres y jouent un rôle majeur pour porter les innovations de rupture. Ces meetings sont de fait des espaces privilégiés où le monde collabore, partage et confronte ses propositions pour construire les futures normes du numérique pour des services interopérables. »

Dans ce rôle de Convenor, Marius Préda a le pouvoir d'orienter les voies à explorer, mais a le devoir de prendre en compte toutes les propositions émises, de les faire discuter au sein du WG 7 afin de déterminer de façon consensuelle les meilleures solutions à investiguer et à promouvoir.
Cette démarche permet de construire une vision collective à moyen terme au travers de travaux techniques qui bénéficient à toutes les parties prenantes.

L’avantage d’un Convenor en France pour les entreprises françaises

La participation d’une entreprise, quelle qu’elle soit, à la normalisation est un acte volontaire.  Celui-ci requiert une forte résilience, un engagement dans la durée, une bonne connaissance des processus de normalisation et des moyens d’expertise et de financement. Avoir un Convenor du WP7 qui apporte une perspective internationale enrichit le processus. Cela facilite la création de liens professionnels, tant lors des réunions officielles que dans des contextes informels, où projets et technologies peuvent être échangés, débattus et finalement proposés pour normalisation.

Toutefois, il est primordial que le Convenor maintienne une posture de neutralité et d'objectivité, essentielle lors de l'évaluation et de la sélection des technologies présentées, afin de garantir que le processus de normalisation reste équitable et inclusif pour tous les participants, indépendamment de leur origine géographique.

Marius Preda reconnaît que « cet exercice lui est très facilité par sa qualité même d’enseignant-chercheur. Celle-ci lui apporte, outre une bonne compréhension de la recherche ce qui est crucial lors des discussions prospectives, une rigueur intellectuelle qui est de mise dans ses activités au quotidien avec ses doctorants ou lors de la rédaction de publications ou de présentation de conférences. »

Enseignant-chercheur et Convenor deux rôles qui se nourrissent mutuellement

Marius Preda, dans son rôle d'enseignant-chercheur, tire une grande partie de son inspiration et de ses connaissances des conférences et des publications académiques. L'intégration de ces informations avec les spécifications et les scénarios d'utilisation détaillés dans le WP 7 lui permet de formuler des propositions pertinentes pour les processus de normalisation.

Cette démarche contribue également à l'élaboration de voies de recherche innovantes, offrant des solutions technologiques avancées destinées à un transfert industriel efficace. En restant à l'avant-garde des tendances de recherche, il est capable d'identifier les besoins critiques et les collaborations stratégiques nécessaires. Cela l'aide à évaluer l'opportunité de poursuivre l'exploration de certaines idées sous l'aspect de leur potentiel de normalisation.

Les sessions de travail en normalisation s’appuient sur une grande équipe d'experts internationaux qui travaillent ensemble : plus de 120 participants lors des meetings en présentiel et quelque 250 quand les réunions sont organisées en distanciel. Pour Marius Préda « c’est incroyable de voir à quelle vitesse on peut progresser lorsqu'un si grand nombre de personnes se consacrent à un seul objectif. Bien sûr, cela est rendu possible parce qu'il existe des protocoles d'expérimentation, d’évaluation, qui sont pleinement partagés. »

Quelle tendance en normalisation des contenus 3D ?

Le WG 7 se consacre historiquement à la compression des contenus graphiques 3D, une avancée technique cruciale pour enrichir les expériences en réalité augmentée et virtuelle, ainsi que pour soutenir l'évolution du Métavers. Ce dernier désigne un ensemble de services en ligne offrant des simulations d'espaces 3D en temps réel, partagés et persistants, où les utilisateurs peuvent vivre des expériences immersives collectives. L'objectif est de rendre ces univers virtuels plus accessibles et réalistes, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles formes d'interaction et de collaboration dans des environnements virtuels sophistiqués. Comme attendu, l'intelligence artificielle (IA) occupe une place centrale dans les développements actuels, une tendance importante se mettant en place pour compléter, voir remplacer les techniques classiques de traitement de signal par des modèles numériques.

Pendant plus d'un demi-siècle, la théorie du signal et le traitement du signal ont été au cœur des efforts de recherche visant à compresser les informations. Historiquement, ces domaines ont exigé une fusion sophistiquée de modèles physiques, de méthodes mathématiques et d'algorithmes efficaces. Cette approche a permis de réaliser des avancées notables, affinant les modèles pour les adapter spécifiquement aux signaux traités et intégrant des éléments d'« intelligence » pour créer des techniques de compression de plus en plus avancées. Cette période était marquée par une quête de compréhension profonde des phénomènes physiques sous-jacents et de leur modélisation précise dans le traitement du signal.

Toutefois, l'avènement de l'intelligence artificielle marque un tournant. Aujourd'hui, l'accent n'est plus mis sur la modélisation physique des phénomènes, mais plutôt sur une analyse purement numérique. Les modèles d'IA, en s'affranchissant des contraintes de compréhension et de modélisation des processus physiques, ouvrent de nouvelles voies en se concentrant uniquement sur l'efficacité de la compression des données. Cette évolution signifie un passage d'une approche fondée sur la compréhension détaillée des signaux à une méthode qui tire parti de la puissance de calcul pour analyser et compresser les informations de manière plus abstraite et potentiellement plus performante.

« Nous étudions désormais comment les réseaux de neurones profonds analysent le signal original, en le transformant dans un espace latent compact, pour ensuite le transmettre et le reconstruire efficacement au niveau du terminal de l’utilisateur.».

Toutefois, Marius Preda met en évidence le fait que cette nouvelle méthode marque une rupture avec l'approche traditionnellement neutre en termes de contenu, qui dominait jusqu'à présent dans la théorie du signal pour les algorithmes de compression. Auparavant, ces algorithmes traitaient de manière identique des images ou des vidéos de nature diverse, que ce soit une vue extérieure ou le portrait d'une personne.

« Les modèles d'intelligence artificielle peuvent, de façon inhérente au processus, différencier une image capturée en extérieur d'un portrait photographique et les traiter de manière appropriée. Par exemple, la compression d'images de visages peut conduire à des débits particulièrement faibles, compte tenu de la forte similarité intrinsèque à l'objet « visage », malgré ses nombreuses variations. Le réseau est spécifiquement conçu pour reconnaître et apprendre ces nuances.»

Une exceptionnelle formation pour les jeunes chercheurs

Au sein des organismes de normalisation, il existe des sujets très pertinents pour la recherche, ce qui les rend idéaux pour la recherche doctorale. D’ailleurs, nos étudiants et doctorants qui ont travaillé sur des sujets liés à MPEG ont connu une ascension fulgurante dans leur carrière. C'est le contexte parfait pour une thèse, en raison d’une part de la disponibilité de données qualifiées et de la robustesse des expériences scientifiques et technologiques conduites.

« On dispose de la description des expérimentations, des métriques et même s’il n'y a pas tout, il y a au moins 200 paires d'yeux qui examinent le même objet. Par conséquent, lorsque tu commences une expérience, tu peux avoir confiance en sa robustesse et en sa méthodologie. On est bien loin du jeune chercheur qui travaille avec son directeur de these sur son sujet dans son laboratoire. »

Cet environnement de recherche compétitif profite également aux doctorants, qui deviennent très recherchés par les entreprises et les organisations après l'obtention de leur diplôme. La normalisation est une véritable rampe de lancement pour une carrière professionnelle en ingénierie de pointe.